La valeur symbolique de l'argent en Sophrologie
Qu'est-ce qui dirige le monde ? L'argent et le sexe. Voilà ce que l'on entend communément. Les gens n'ont plus le temps de vivre ; ils ne pensent qu'à obtenir l'argent pour s'offrir tous les biens de consommation dont la publicité leur donne envie et qui serviront leur image.
Écrit par Ghylaine Manet le 19 Novembre 2024
Pour commencer cette analyse, prenons l'exemple classique de la voiture « haut de gamme ». Elle est le signe d'une réussite sociale puisque la posséder demande un niveau de vie confortable. Elle renforce chez celui qui la possède le sentiment d'exister socialement, ce que traduit le langage commun : « Elle renforce son ego ». Cette satisfaction est sous-tendue par le plaisir discret de narguer son voisin en excitant son envie et son dépit. Le marketing publicitaire accentue, si besoin est, la valeur symbolique de la voiture en question. Elle est en effet le symbole de la puissance et de la virilité. Le commentaire accompagnant la publicité est éloquent : on vante son élégance, sa douceur, la chaleur intime de son intérieur et, pour couronner le tout, une jolie déesse vient s'asseoir sur le capot, ou se blottit contre le conducteur. Les biens de consommation les plus exposés au regard des autres, comme la maison, le bateau ou la voiture, disent clairement que vous avez réussi dans la vie, c'est-à-dire que vous avez un pouvoir, celui de l'argent. En clair, vous avez le pouvoir sur l'autre.
D'où vient cette puissance de l'argent ?
Du point de vue psychanalytique, l'argent a une valeur symbolique extrêmement différente selon les individus, et chez un même individu selon les situations et les périodes. Sa valeur représentative nous éclaire sur le degré d'évolution d'une personne et sur sa pathologie. Sans argent, l'homme d'aujourd'hui se sent dépossédé de lui-même.
S'il n'a pas eu la chance de naître « sous une bonne étoile », c'est-à-dire dans une famille aisée, il peut être tenté d'acquérir des richesses par son travail — c'est la voie la plus noble et la plus longue — ou par le vol, plus ou moins déguisé, qui comporte autant de risques pour son image que pour sa propre personne. L'acquisition de l'argent est le mobile de bien des conduites et des comportements sociaux. L'argent, depuis l'aube de l'humanité, est un objet convoité et, parallèlement, sa valeur naît très tôt dans le développement de la psychologie de l'individu. Dès les temps primitifs, la monnaie était investie d'un pouvoir sacré et redouté, car elle conférait des pouvoirs magiques à celui qui la détenait.
La valeur de l'argent prend sa source au deuxième stade de l'évolution psychique de l'individu, soit entre deux et quatre ans, au stade du « non » systématique, stade sadique-anal d'expulsion et de rétention qui se cristallise autour des matières fécales ; l'enfant retient ses matières fécales et passe des heures sur son pot pendant que sa mère attend. Le plaisir qu'elle marque lorsque enfin il les lui donne renseigne l'enfant sur la valeur du don, et dans le même temps, il connaît le plaisir de l'expulsion retardée. C'est alors que les excréments prennent la signification du cadeau. S'il veut faire plaisir à sa mère, l'enfant lui accorde ce cadeau, le seul qu'il puisse donner. Qu'a-t-il d'autre à offrir qui vienne de lui, de sa propre chair ? Il apprend qu'il peut agir sur sa mère, qu'il peut la punir pour une raison ou pour une autre. Il jouit de son déplaisir, il aime le déplaisir qu'il crée ; il découvre le pouvoir de faire souffrir l'autre ; ses tendances sadiques, agressives, y trouvent leur compte et elles sont liées à l'ambivalence des sentiments qu'il a pour sa mère.
L'identification à sa mère va lui apporter le plaisir de la souffrance qu'elle ressent. C'est ainsi que la pulsion sadique-anale se renforce ; elle fait partie de l'inconscient de l'individu. Dans sa vie d'adulte, l'homme ressentira cette pulsion que son Moi devra contrôler pour assumer son rôle social ; il ressent la capacité nouvelle pour lui d'agir sur la situation et d'affirmer sa volonté.
L'intérêt que l'adulte porte à l'argent prend sa source dans ce processus de rétention et d'expulsion et dans l'ambivalence des sentiments qui investissent l'objet. Il met en évidence également le processus d'élaboration du Moi, de son pouvoir sur les pulsions du ça. Le premier déplacement de l'investissement se fait ensuite de l'excrément sur le pénis, en raison de leur analogie organique : ils excitent tous les deux un canal muqueux et font partie du vécu corporel. L'un comme l'autre se détachent du corps.
L'argent diffère des excréments, du pénis, en ce sens qu'il n'a pas un rapport direct avec les fonctions érogènes du corps. Il y a bien un changement de structure ; l'argent serait alors vu comme une matière première au service de la pulsion, avec cette dimension différente qu'il est inséparable de la constitution du Moi. Le symbole de l'argent est en rapport direct avec la manière dont le sujet se situe comme Moi. C'est pourquoi le symbole s'éclaire de la structure du Moi de l'individu.
La valeur symbolique que l'individu attribue à l'argent est fonction de son niveau d'organisation libidinale, sur lequel Hana Reiss-Schimmel 1. a apporté un éclairage très instructif ; il marque l'aptitude à symboliser. L'étude de l'argent, c'est donc l'étude du processus de symbolisation de l'individu. Au stade oral, le sujet et l'objet sont dans la confusion. Il n'y a donc pas de possibilité d'échange ; le fantasme d'incorporation réciproque est la seule modalité relationnelle possible.
La mesure de l'argent implique des capacités rationnelles : remplacement d'une valeur par une autre, détachement du sujet. Il faut donc avoir bien acquis cette possibilité de différencier le sujet, l'objet, l'avoir et l'être : ce qui implique que l'individu ait atteint un niveau de maturation qui se situe au stade génital. C'est à ce moment-là que l'individu peut se concevoir comme personne différente d'une autre et pouvant entretenir des rapports d'égalité.
La sublimation de l'argent et sa fonction d'objet d'échange rationnel réglé suivant les exigences de la réalité, sont l'aboutissement d'un processus évolutif complexe. Lorsque sa possession vient confirmer une illusion de toute puissance infantile, l'individu est en régression, et c'est ainsi que nous voyons des adultes, soit trop économes, soit trop généreux qui maîtrisent mal l'argent, monnaie d'échange. Le sujet névrosé a souvent des problèmes d'argent qu'il ne peut combattre ; la source en effet est inconsciente. Il peut être d'une boulimie irrépressible et il achète compulsivement pour combler un manque et tenter de dissiper un mal-être persistant ; il privilégie le plaisir immédiat d'un vêtement nouveau pour « changer de peau » et amplifie par ailleurs son problème financier. Un être équilibré utilise l'argent mais ne le valorise pas au détriment des valeurs humaines. Il s'en sert comme un moyen mais pas comme une fin en soi.
1. Hana Reiss-Schimmel, La psychanalyse et l'argent, Odile Jacob, Paris, 1994.