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Comment conduire une anamnèse en psychothérapie?

Le consultant en psychothérapie prend rendez-vous, en général, par téléphone. Ce premier contact avec le thérapeute augure déjà de la qualité du premier entretien.

Écrit par Ghylaine Manet le 20 Février 2020

Comment conduire une anamnèse, en psychothérapie?

Comment conduire une anamnèse ?

Le consultant en psychothérapie prend rendez-vous, en général, par téléphone. Ce premier contact avec le thérapeute augure déjà de la qualité du premier entretien. Vous donnez confiance à la personne en demande sinon cette personne peut s'interroger sur le choix du praticien. La voix, la tonalité et quelques mots échangés dans ce premier dialogue vous renseignent sur le degré de la motivation et le désir sincère d'entreprendre une thérapie de la part de  votre interlocuteur. Et vient le premier entretien qui donne le coup d'envoi du cheminement psychologique des deux partenaires de la relation duelle. Comment le réussir ? L'anamnèse qui reste le centre de ce  premier rendez-vous demande une expérience clinique indéniable car elle peut atteindre des pics d'émotion qui décontenancent souvent les jeunes praticiens.  Dans certains cas, l’anamnèse sera complétée à la séance suivante ; l’angoisse du patient sera telle qu’il sera nécessaire de passer à une séance de relaxation en choisissant des mots apaisants et adaptés au cas précis de ce patient en souffrance ; iI ne sera pas l’heure de faire « un interrogatoire » mais d’être présent « ici et maintenant », de soutenir et d’accompagner la douleur. La position assise est alors inadéquate. La position allongée favorise le relâchement.

Le premier rendez-vous en général déroule l'anamnèse qui peut prendre le caractère d'une confidence voire d'une confession ; l'épanchement intime nous révèle l'intensité de la souffrance ; la communication met en évidence les qualités de cœur, la sincérité. Il y a un partage, un échange de signes non verbaux, un message indicible, hors de toute règle sociale et morale. Et pourtant dans ce florilège de sensations, de sentiments, de perceptions, de pensées, le thérapeute garde sa lucidité, son intuition, son discernement, sa logique et son savoir de thérapeute. Il reste dans une neutralité bienveillante et respectueuse  envers son patient. Il est dans l’empathie et la congruence si chères à Carl Rogers. En aucun cas, il ne pleure avec le patient. Celui qui vient se confier  demande une main sûre, puissante pour l’aider à sortir de l’eau. Le cœur et la raison doivent s'interpénétrer pour donner aux deux partenaires de cette relation thérapeutique une vision claire de la situation psycho-affective et de la pathologie du consultant.

 

Les difficultés inhérentes à la démarche du consultant

Prenons conscience des difficultés de la démarche. Et observons ce qui est dès le premier regard, perceptible : l’anxiété, l’angoisse, le manque de confiance, les difficultés d'expression. Nous observons dans les minutes qui suivent les marques de fatigue du visage, les expressions douloureuses, les problèmes de sommeil, la respiration oppressée, le peu d’attention à soi-même, l’attitude, les gestes. Toute cette observation non verbale peut révéler aussi des ressources : l’énergie de la voix, le regard direct, la vivacité des traits du visage, la tonicité du visage, l’extraversion de la personne.

Pour faciliter la relation, utilisons des banalités, ce qui permet un petit développement sans conséquence pour la personne qui arrive ; c'est un début de détente, une mise en confiance simple et sans  surprise. Nous pouvons continuer par une phrase de ce type. « Je ne sais pas si vous me connaissez, avez-vous déjà rencontré des thérapeutes ? »  Ces phrases stéréotypées vous amène insensiblement à vous présenter.  Nous allégeons ainsi l’appréhension du saut dans l’inconnu : parler à un étranger de son intimité, de son angoisse, de ses conflits intérieurs et de sa difficulté de vivre au jour le jour. En effet, il y a de quoi être tourmenté. La personne a souvent retardé la prise du rendez-vous. Et c’est à la fin de l’entretien que le consultant nous fait part de son état psychologique du début. Ses premiers mots sont bien souvent d’une personne fragile, envahie par ses problèmes. « Je suis perdue. » ; «J’ai du mal à respirer ». « Je ne sais pas ce qui m’arrive », « Je ne sais pas par où commencer.» Il est nécessaire de rassurer : « C'est déjà une démarche de venir nous voir,  c'est difficile pour beaucoup. Soyez rassurée. » « Je ne suis jamais venu dans un cabinet de « psy ». Je ne sais pas ce que vous pouvez m’apporter, je vais mal ». Pour beaucoup de nos patients, le monde « des psys » est une vraie forêt et recouvrent des titres difficiles à cerner. Il y a une certaine aura autour des « psys » qui développe une crainte réelle chez le consultant, celle de s’être trompé d’adresse. « Avez-vous rencontré des gens comme moi ? Aussi mal que moi ? Combien de temps et d’argent faudra–t-il que je consacre » Et puis vient le dernier rempart : « j’ai eu du mal à venir vous voir, je ne suis pas fou mais j’ai peur de le devenir.»

 

Normalité et pathologie : nous avons tous un noyau psychotique

Qu’est-ce qu’être fou, qu’est-ce qu’être normal? La normalité n’est qu’un critère statistique. Être dans la norme, c’est être dans la majorité. Freud montre l’existence d’une continuité entre l’individu socialement admis comme normal et le névrosé. « Entre l’état nerveux normal et le fonctionnement nerveux anormal, il n’existe pas de limite nette  et tranchée, nous sommes tous plus ou moins névrosés » (Psychopathologie de la vie quotidienne de 1901) Et le délire, pour Freud, n’était pas la maladie mais un essai de guérison.

Dans Névrose, psychose, perversion. Il y est  dit « la perte de la réalité serait pour la psychose donnée au départ, pour la névrose, il y aurait lieu de penser qu’elle est évitée. Névrose et psychose sont l’une comme l’autre des expressions de l’incapacité à s’adapter à la vie réelle.  Lacan disait qu’on n’a jamais rencontré l’homme moyen. Il a  pu dire que le psychotique pouvait être le comble de la normalité tandis que la névrose la plus normale pouvait se révéler de la folie. Il a souvent cité la pensée de Blaise Pascal : « les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie, de n’être pas fou.»

Nous avons tous un noyau psychotique. Nous nous devons de travailler avec la partie saine du moi du consultant pour construire une relation thérapeutique « empathique et congruente », comme nous le recommande Carl Rogers.

L’utilisation  équilibrée des  deux hémisphères cérébraux au cœur de la relation thérapeutique :  Pour connaître l’autre plus rapidement, certains thérapeutes donnent au consultant une batterie de questions dans le premier entretien. J’ai eu des patients qui ont pris la fuite. Le thérapeute se défend en expliquant que c’est un gain de temps pour la thérapie. Je répondrai que le non-verbal nous donne de nombreux indices qui colorent le récit. Le questionnaire et ses réponses en dehors du cabinet ont évacué les émotions. Le gain de temps n’est pas une valeur en psychothérapie. Dix minutes d’entretien nous permettent quelquefois de prendre conscience d’un problème plus que trois séances.  L’observation, tant recommandée par Milton Erickson est  essentielle. Nos sens sont en alerte pour ressentir la personne en face de nous.

Le cerveau droit, synthétique, émotionnel, créatif, intuitif est essentiel pour mettre en valeur la parole du cerveau gauche analytique, logique, froide et abstraite. Le développement de notre cerveau droit est une priorité en psychothérapie. Un dessin, une métaphore, une image sont des expressions plus efficaces qu’un discours logique et explicatif.

 

La personne écoutée dans sa globalité corps-esprit

Il est nécessaire de considérer la personne dans sa globalité et  ne pas l’enfermer dans une catégorie. Nous recevons une personne qui présente des troubles, des symptômes. Elle a une addiction mais elle n’est pas cette addiction. En clair, je ne reçois pas un alcoolique mais une personne qui souffre de traumatismes multiples souvent anciens et qui a trouvé l’alcool comme refuge et comme compensation. C’est en même temps mettre en valeur la relation profonde, intime entre le corps et l’esprit. Pour Descartes «  la substance pensante » était séparée du corps et des autres hommes.

Freud va à l’encontre de la pensée de Descartes. Il met l’accent sur le rôle d’autrui dans la construction du sur-moi, étape essentielle du développement social de l’enfant. La phénoménologie avec Edmund Husserl a redéfini la place d’autrui  dans la construction de chaque personne. Ces deux théoriciens ont influencé notre vision du monde d’aujourd’hui. Nous existons dans notre esprit et notre corps indissolublement liés et nous sommes en même temps des êtres de parole et de relations , des citoyens du monde comme disait Voltaire.

Nous n’avons pas seulement une conscience mais un inconscient  qui est un composant essentiel de notre psychisme. Le patient qui ne peut s’empêcher de fumer sait bien consciemment que « fumer tue » mais il est impuissant à se contrôler  et il ne sait pas pourquoi. Son inconscient  est un réservoir de ressources avec lequel il devra compter pour quitter cette addiction. Carl Jung, et après lui, Milton H. Erickson nous ont montré la voie. C’est avec le conscient et l’inconscient du thérapeute et du consultant que le travail thérapeutique va se construire.

 

Le premier entretien est centré sur l’anamnèse

Comment conduire l’anamnèse, tenant compte de tous les paramètres évoqués précédemment. Tout l'art de l'anamnèse est dans la démarche souple de la recherche des informations nécessaires à la stratégie thérapeutique et à son évolution positive et dans le meilleur des cas, rapide. La technique ne suffit pas, la personnalité du thérapeute sera nécessaire à l’alchimie de la relation thérapeutique.

 

L'anamnèse, c'est l'ensemble des informations fournies par le sujet lui-même, sa propre histoire. Anamnèse vient de deux mots grecs ANA qui veut dire remontée, de bas en haut et MNEME : le souvenir. Au sens littéral du mot, c'est la remontée des souvenirs. Souvent le thérapeute va devenir au cours de cette séance  un détective  ou un  archéologue, par ses questions directes inattendues qui vont couper le récit du consultant et le désorienter afin de retrouver une spontanéité dans les réponses  qui se sont figées dans d’autres thérapies ou seulement dans le psychisme du sujet. Dans cette phase, il est nécessaire, quand on le ressent, de demander une précision non pas psychologique mais factuelle. La transcription des notes doit être fluide. Les sautes du récit du silence, les mimiques, l'expression du visage, du mouvement des yeux, le rire, les larmes qui affleurent, tout ceci va permettre de ressentir et de comprendre ce qui se passe dans la vie du consultant et qui n'est pas perçu au premier abord dans les mots.

 

Au plus fort  de l’anamnèse, il y a la prise de conscience de « l’ici et maintenant » dès que surgit une émotion. Faire reconnaître au consultant son émotion avec son cortège de manifestations physiques, c’est le mettre dans « la pleine conscience », nouvelle formule à la mode, qui redonne la valeur au corps.

 

Laissons le consultant parler jusqu'à ce que le flot de parole s'arrête. Et notons le maximum d’informations sans le quitter des yeux. Nous reviendrons plus tard sur un élément du récit, sur ce  qui fait question. Le plus simple est de parler en dressant un génogramme, un arbre généalogique et relationnel qui s'affinera au cours des autres séances et donnera une vue systémique des relations transgénérationnelles et personnelles du sujet.  Nous devons avoir à la fin de cette séance une vision globale de l'individu, de ses ressources et de ses traumatismes :

La demande, les symptômes, les antécédents médicaux, les antécédents psychothérapeutiques, les médicaments, les événements traumatisants : divorce, chômage, harcèlement, violences, accidents de voitures, incendie, cambriolage, agression, décès, suicides, maladies graves, problèmes de natalité. Tout ceci sur trois générations. Notons les personnes maléfiques, toxiques dans le passé et dans le présent et  les personnes bénéfiques, idéalisées, support d’identifications. Nous les évoquons rapidement pour y revenir plus tard.

 

Ajoutons les  ressources personnelles qui sont de véritables leviers pour un changement : les satisfactions professionnelles, familiales, le niveau de vie, la qualité de la vie, les passions artistiques, les réussites sociales (sport, récompense). Il y aura des imperfections, des oublis : on ne peut passer sous silence la qualité de la mémoire, ses défauts. Freud nous avait averti : «  Il y a un principe radical l’inadéquation du réel et du mental. Du réel, on ne peut que dire faux, on ne peut que mentir. »

La mémoire est une reconstruction de reconstructions perpétuelles au service du MOI et  il y aurait beaucoup à dire sur le phénomène de l’oubli, nécessaire à la vie. Nous ne l’évoquerons pas dans la thérapie. Ce n’est pas parce que le récit comporte des erreurs, des déformations de la réalité qu’il ne faut pas en tenir compte. C’est la souffrance qui apparaît qui est essentielle. C’est à partir d’elle que l’on peut trouver la solution du problème, du dysfonctionnement, et amorcer une renaissance.

 

L’alliance thérapeutique

Déjà dès le premier entretien, y-a-t-il eu une ébauche d’alliance thérapeutique ?  Il serait bon de l’espérer. L’alliance thérapeutique a été énoncée par Freud dès 1912 lorsqu’il a parlé du transfert. L’alliance mesure le lien qui vient de se nouer. En tant que thérapeutes, nous pouvons ressentir l’engagement qui est en train de se faire, la confiance dans la démarche, la compréhension de la nécessité de travailler ensemble, une sympathie mutuelle dans cette relation duelle qui n’est pas le transfert. La tenue d’un carnet de bord pourra témoigner chaque jour des avancées positives, d’un changement d’attitude, d’une énergie vitale retrouvée, d’une confiance en soi, d’une estime de soi. L’écoute de l’enregistrement d’une relaxation avec un objectif déterminé optimisera l’engagement entre les séances. La thérapie menée dans une perspective systémique, orientée solution, ouvrira la voie d'un réel changement de vie et de point de vue sur l'avenir.