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Etude psychologique : Le baobab et le cagou

Analyse psychologique sur le comportement des jeunes face a la drogue, a la violence et a l'obeissance en Nouvelle-Caledonie.

Écrit par Ghylaine Manet le 2 Avril 2020

Le baobab et le cagou

Je ne vous parlerai pas des ados qui dorment sous les ponts ou qui ont rejoint les centres spécialisés de la délinquance et de l'exclusion. C'est bien dans une optique de sophrologue analyste exerçant dans un cabinet libéral que je vais présenter des cas aujourd'hui. Ce sont des consultants qui ont accepté de parler de leur mal-être, de leur angoisse, de leur anxiété et de leurs difficultés. Parents et adolescents éprouvent une souffrance qu'ils expriment devant la caméra dans l'espoir que leur témoignage de vie aidera les autres à sortir de l'impasse dans laquelle ils se trouvent. Les techniques de sophrologie permettent d'arrêter le processus répétitif des comportements inadaptés à la situation et de mettre en mouvement un retour à la vie sociale, d'arrêter l'exclusion, de reprendre la réinsertion dans les études ou dans le travail. Quand le cadre de mon intervention ne suffit pas, je dirige les personnes vers des services spécialisés qui prennent le relais. La sophrologie est une philosophie et un art de vivre, c’est aussi une approche thérapeutique globale qui développe la créativité et l’imaginaire. C’est une ouverture de conscience qui permet de mieux se connaître, d’accepter autrui et de s’adapter aux difficultés, voire aux traumatismes affectifs et émotionnels qui jalonnent la vie. Sam, Ivan, Caroline, Armand, Laurent se sont arrêtés un temps sur le bord de la route. Ils ont pris un chemin de traverse. Ils ont emprunté les sentiers où ils ont pu se cacher quelques mois, voire plus d’une année. Ils ont rejoint d'autres alter egos, habillés de la même manière, utilisant un même code pour communiquer. Ceux-là les ont incités à prendre un alcool, un joint ou tout autre produit nocif et illicite. Ils ont cru trouver une libération et l'amitié exclusive d'un groupe où il n'est pas besoin de se prouver quelque chose. Ils ont ressenti un peu de chaleur humaine, coude à coude, ils ont capté des regards accueillants, des sourires de complicité. Et pendant un temps, cela peut suffire à panser les blessures, à s'anesthésier, à oublier sa solitude et à croire à quelque chose de différent.

 

 

J’ai donné à cette communication le titre : Le baobab et le cagou. Vous allez comprendre pourquoi. Vous vous souvenez certainement du baobab qui donna tant de souci au petit prince de St Exupéry. En effet, depuis quelque temps, il s'extasiait sur les pousses vertes qui envahissaient sa planète. Mais c’étaient des mauvaises herbes. Et un jour sa planète devint inhabitable. Un baobab avait pris toute la place….Et je me rappelle de ce père qui se plaignait de son fils Kim âgé de 16 ans qui avait envahi le salon depuis plus d’une année. Sa Playstation, ses Cd traînaient partout et dès qu’il rentrait il égrenait ses affaires dans les pièces communes. Sa chambre était devenue un taudis puant le tabac. Personne n’y 2 entrait. Il y invitait ses copains qui avaient l’air d’apprécier. Cependant, le jeune homme ne comprenait pas que ses parents étaient sans cesse à le houspiller car il se sentait chez lui partout et régnait en maître depuis sa préadolescence. Les parents exerçaient de lourdes responsabilités et s’occupaient peu de leurs deux garçons. La femme de ménage tentait de mettre un semblant d’ordre à chacun de ses passages et la famille vivait ainsi cahin–caha.

 

La thérapie de Kim prit ce problème très au sérieux. Ce manque de respect de soi-même et de l’autre rendait la vie infernale. Le père s’excusait de ses pensées sur son fils : « Est-ce normal que je commence à détester mon fils ? Je le vois de plus en plus monstrueux dans sa manière de nous éliminer. Sa mère lui laisse tout faire .Elle a peur de le traumatiser par des interdits qu’elle est incapable de tenir. Je n’ai aucune influence sur lui. Je donne de l’argent de poche et c’est tout. Sans arrêt, il se fait faucher ses affaires ; A mon avis, il les vend pour sa consommation personnelle de cannabis. Il est nerveux et rien ne le touche. Et de temps en temps, il fait des crises.
Le temps de décider de son avenir se pose cruellement pour nous. Que faire ? »
Les parents s’angoissent sur l’avenir de leur adolescent  mais l’ado, lui  s’angoisse de grandir. Il a peur de la vie. Il  ne sait pas ce qu’il pourrait faire pour combler le vide de son existence. Rien ne semble l’intéresser. Chez papa ou chez maman, le gîte et le couvert sont assurés.

Il est de plus en plus difficile à l'adolescent de prendre son envol. Il reste dans sa chambre, voire dans son lit, à l'écart, à l'abri. Il quitte la nuit le nid  des parents. Il investit les quartiers, et rejoint une bande qui lui sert à nouveau de nid, de protection contre tout ce qui est famille et  société.
Il est un oiseau étrange que l’on nomme le cagou, il est en  Nouvelle-Calédonie en voie de disparition. Sa particularité, c’est qu’il ne peut plus voler de ses propres ailes. Sa nourriture a toujours été à portée de son bec. Il n'avait donc aucun besoin  de faire des efforts. Les muscles de ses ailes se sont atrophiés au fil des années. Il est maintenant en danger, à la merci des chiens errants et  incapable de se défendre de se protéger  et de voler en toute liberté.

L'ado jongle entre deux mondes. Il peut facilement  mentir, il en joue, il peut chaparder pour se procurer de l'argent, il trafique ses objets personnels, ses vêtements et des produits illicites. Le monde est devenu peu à peu un pays ennemi, hostile, absurde dont il faut se méfier et où il joue à prendre des risques. Et nous en tant que thérapeutes, nous faisons aussi partie de ce monde-là ; il nous faut des trésors de patience et d’empathie pour gagner sa confiance.

Je me souviens d’un jeune homme de 18 ans, Laurent,  qui ne quittait plus sa chambre. Les écouteurs sur les oreilles, il fumait ses joints : 7, 8 par jour, il ne savait plus combien. Il était dans l’incapacité de se rendre au rendez-vous à l’heure convenue ; il avait des tocs de plus en plus nombreux, mangeait peu, dormait mal. Dans une séance où je lui demandais ce qu’il pouvait attendre de mon aide, voici ce qu’il me dit : «  demande à maman qu’elle me fasse la donation du studio où je pourrais vivre le restant de ma vie, heureux entre ma musique et ma fumette. Je n’ai pas besoin de grande chose. De temps en temps un petit boulot, il y en a toujours pour me dépanner, j’ai toujours un copain pour ça »

Nous pouvons entendre maintenant  le témoignage de SAM : (vidéo de Sam) Le jeune ado  (16 ans) au cours d’un entretien  précédent la thérapie nous explique ce qu’est sa vie quotidienne. Il est en ce moment en rupture scolaire. Ayant été expulsé d’un lycée, les parents tentent de le faire admettre dans un autre établissement. Ce n’est pas facile car il a été dernièrement interpellé par la police ; il est considéré comme passeur, intermédiaire entre le consommateur et le dealer. Vous entendrez également de courts extraits de l’entretien  de sa mère. (Vidéo)

Lorsqu'on parle de rupture sociale, on évoque l'évitement de la vie quotidienne sous toutes ses formes.  Toutes les jeunesses expriment le désaccord entre les aspirations d'un monde meilleur, le désir d’un monde plus juste et le spectacle de cette société que les adultes ont construite avant eux,  basée sur les rythmes de travail, sur la notion de l'argent, de la consommation à outrance, très souvent inutile mais qui recouvre une réalité économique et sociale. Le raisonnement est tout simple. Il n'est pas neuf. Nous avons tous fait le même constat dans notre adolescence. En 68, les mouvements libertaires ont fait fleurir le plateau du Larzac par un bon nombre d'intellectuels, de fils de bourgeois qui s’en sont  allés découvrir la nature, l'agriculture et le communautarisme, loin des lobbys  économiques, destructeurs de la vraie vie. Beaucoup en sont revenus.

Notre société est mise à mal par l’adolescent rigide. C’est du tout ou rien .Ses jugements sont à l’emporte-pièce. Il  sait peu de choses car il a beaucoup à apprendre mais il le refuse. C’est qu’il est le reflet de notre société et du quotidien dans lequel il vit. Il est dans le virtuel, dans l’image, dans la communication via internet. Il perd le contact avec la réalité. Il préfère les jeux et les écrans. Il a du mal à vivre de vraies rencontres.
Qu’a-t-il vécu depuis sa naissance ? Que sait-il du monde extérieur ? Quelles lectures ? Quels documentaires ? Quelles amitiés a-t-il nouées ? Quelle ouverture a-t-il sur la vie ? Quelles sont les fréquentations qu’il a subies pendant toute son enfance ?

L’adolescent n’est jamais seul. Personne ne s’est fait seul. C’est cette interrelation avec l’autre qui nous marque  et nous pousse à agir dans un sens ou dans un autre. C’est l’autre qui aide à nous construire ou à nous détruire et les deux ensembles.

Que vivent les parents ? Que lisent-ils ? Que disent-ils ? Quelles sont leurs valeurs ? Leurs habitudes ? Qu’ont-ils pu laisser passer dans leurs discours sans s’en rendre compte depuis la naissance de leurs enfants ?
L'ennui du quotidien, les disputes, les avis contre la société, contre l’autorité de l’école, contre la valeur des diplômes, la dévalorisation des individus, l’intolérance exprimée, et combien d’autres paramètres dont on n’a aucune idée ? Quels sont les habitudes et les avis  des parents perçus par les enfants et qui modèlent leurs actes, leurs pensées, leurs comportements ? Les parents de ces ados en rupture ont-ils été sécurisants ? Ont-ils été castrateurs, captateurs, générateurs d’angoisse ? Quelle est la nature du lien qui les unit ?
Ont-ils exprimé leur amour, leur tendresse par des gestes affectueux,  des messages valorisants, par des paroles de soutien dans l’effort, par des récompenses et des conseils, par des blâmes justifiés qui donnent la règle ? Ou ont-ils été si occupés et si perturbés par leur propre angoisse ou leur propre stress d’une vie quotidienne difficile et d’un travail épuisant qu’ils n’ont trouvé comme signes d’attention que l’argent de poche, les achats de vêtements du dernier look, ce qui leur a  permis  au moins de sauver la face et de cacher les fissures de l’âme. .

La vie ; c'est le risque. C’est accepter les essais, les erreurs, voire les échecs et le souffrances qui les accompagnent.   On a voulu tout épargner aux jeunes pour ne pas les voir souffrir. Aujourd'hui, il n'y a plus de risque pour beaucoup d'adolescents. J'ai reçu dans mon cabinet  Alain, un jeune homme qui avait raté son bac. Il vivait dans un milieu aisé. Brusquement, il s’est mis à pleurer non pas à cause de son échec mais parce qu'il venait de recevoir 200 € pour le consoler. Il s'est senti très dévalorisé. «  Même si j'échoue on me récompense. On  me traite comme un gosse. Peu importe pour eux si je réussis ou  si j'échoue. Ils n'en ont rien à faire. Ils veulent juste que je me taise, que je ne pleure pas. Il ne m'écoute pas. Il ne faut pas que je dérange. Je suis un minable. Mon père d'ailleurs me le dit toujours. C'est vrai que je dénote dans la famille. Ils ont tous des super métiers. Ils ont fait des études. Ils sont assez riches pour me payer jusqu'à la fin de ma vie un studio et ma nourriture. Je ne vaux rien, ce n'est pas leur problème. »

Dans le milieu familial, tentons d’évaluer les  situations concrètes qui dévoilent un environnement anxiogène, peu sécurisant pour le jeune.  Quand mangez-vous ensemble ? Où dormez-vous ? À quelle heure vous vous couchez ? Déjeunez-vous le matin ensemble ? Avez-vous de longues conversations amicales, affectueuses, le soir après le travail, le week-end, Quels loisirs, quelles passions partagez-vous ?  Ces questions qui semblent anodines révèlent par les commentaires qu’elles suscitent la circulation de l'amour, des idées sur la vie, et  la gestion des conflits.

Pour Thomas, par exemple, aujourd’hui ingénieur brillant de 23 ans qui s’ennuie dans sa vie et n’a pris aucun engagement sérieux. Il vit une vie affective pauvre d’attachement. Il n’a pas d’envie. Le travail est son seul ancrage. Pourtant,  il n’y trouve aucun intérêt. Il se sent à côté, en rupture sociale. Ses relations avec ses collègues sont minimalistes. Il ne trouve pas sa place dans le monde des adultes alors qu’il s’est conformé à toutes les règles .Il se sentent imposteur. Depuis son enfance, il a fait  ce que l'on lui disait de faire, il a  évité le conflit avec une mère très fusionnelle, étouffante. Il admire son père qui n’a jamais eu du temps à lui offrir. Cet homme à 60 ans, retiré des affaires, commence à parler à son fils.  .
Thomas  devrait être heureux. Il s’ennuie. Pour préserver les jeunes d'une dérive marginale et libertaire, les parents les couvent et leur fixent des règles rigides. Et l'oiseau ne peut plus voler. Il ne peut pas s'engager dans la vie. Les relations amoureuses sont  difficiles. La communication avec les autres n'apporte pas une sécurité. Il na perdu le contact avec lui-même et ne sent plus le désir de la liberté. C'est la rupture d'avec soi-même. C'est un cagou. Il reste collé à la terre. Il ne cherche pas sa nourriture, puisqu’elle est  toujours à la portée de son bec. Ses ailes sont devenues superflues.

La déception d’un premier amour est aussi une cause de la rupture de confiance envers l’être humain. .L'échec amoureux est une des premières gifles de la vie. Le jour  où tout peut s'ouvrir, où l’on croit à la beauté du monde, à l’avenir, où l’on espère bâtir sa propre vie avec un être à qui on veut donner son âme, on découvre la désillusion, la trahison. Fabien ne s’en remet pas encore .Il fuit les relations, il a perdu toute illusion sur les femmes .Il a été  humilié, bafoué devant ses copains et il ne l’accepte pas car il n’était pas préparé dans son éducation à ce type d’échec. Il s’est réfugié dans un sport à haut risque et vit en marge de la société.

Quels sont les signes avant-coureurs de la rupture sociale chez l'enfant ?

La violence à l'école, les bagarres, des jets de pierres, d'objets de toutes sortes, les menaces, le refus des contraintes, des règles. C'est comme un pied de nez à la société, à l'autorité, aux lois sous toutes leurs formes. Les résultats scolaires baissent, les absences se multiplient. Tout est évoqué : céphalées, colites, douleurs inexpliquées, et colères subites.
La violence est une irruption incontrôlée des pulsions,  une énergie qui explose. Il est nécessaire d’en rechercher les causes. Cela révèle quelques surprises !   J’ai reçu Cyril ,10 ans. Il est perturbé par la mort de son père, deux ans auparavant, atteint d’une maladie très longue. La mère dépressive depuis la mort de son mari ne maîtrise plus Clément. Elle sentait sur elle une chape de plomb « À l’école, tout le monde se plaint de lui. Il est violent avec ses camarades. Il a failli crever un œil à un enfant avant-hier » Clément est muet devant sa mère. Je reçois l’enfant seul. « La maîtresse m’a dit que  je suis une cocotte-minute » dit Cyril. Je lui ai rétorqué.  Et qu’en penses-tu, toi ? Et le dialogue s’est engagé.
J’appris qu’il était puni depuis plus d’un mois  pour avoir bousculé une enfant dans la cour : il était condamné à regarder les enfants jouer pendant la récréation, assis sur un banc. Et la mère n’en savait rien. La première tâche fut d’arrêter cette punition qui ne faisait qu’exacerber l’enfant et qui le remplissait de révolte. Les séances suivantes permirent de stabiliser son humeur, de lui redonner confiance en ses capacités. Il fut décidé de le changer d’école pour la rentrée prochaine. Ce qui rassura Cyril. Son bulletin scolaire s’améliora. Il redevint un enfant souriant et affectueux. Sa mère reprit confiance. Elle sentit qu’une libération s’opérait dans sa vie.

Comment sortir de l’impasse que crée la rupture des liens sociaux ?

Déjà il faut trouver le point névralgique de la cuirasse, le talon d'Achille. Car l'ado en rupture sociale s'est réellement cuirassé. Et souvent rigide dans son corps et dans sa manière de s'exprimer. Il utilise les mêmes arguments qu'il se repasse dans les soirées festives. Les mêmes phrases reviendront dans les entretiens. Établir une relation de confiance est souvent une gageure. Elle est pourtant essentielle cette étape sans elle, aucune technique n'est possible.

Prendre la mesure de ce qui est le plus réel pour lui. Son corps souffrant, ses difficultés d'endormissement, ses mauvais trips , sa difficulté de sortir de son lit, la peur de rencontrer les gens, ses problèmes de santé liés aux produits toxiques utilisés. Il a du mal à ressentir ses sensations. Il respire mal. Il y a des douleurs gastriques, il ressent l'angoisse et la peur. S'il accepte de s'allonger pour une relaxation, nous avons fait un grand pas. Souvent ils refusent et c'est donc face à face que nous pouvons travailler la respiration abdominale. Il a souvent peur de fermer les yeux, de lâcher prise. Les mouvements de la relaxation dynamique et les techniques de visualisation viendront plus tard. Il se libéré dans la parole exprimée en confiance et en sécurité. Et s'ils arrivent  à être étonnés de leurs progrès, alors nous avons avancé.

Ensuite nous pourrons parler de l'incompréhension qu'il ressent la part de son entourage.   Il relève les emplois d'expression qu'il ressent comme violents à son égard : tu dois, il faut, tu es nul, regarde ton frère ! Ce n'est pas l’exemple d'un frère ou d'une soeur plus adaptée à la vie quotidienne qui l’aidera à sortir de son marasme.

S'il est possible de rencontrer la famille, le père la mère, les deux ensemble ou séparément, nous pouvons nous en réjouir. Pas trop vite, car cela peut être aussi une source de complications. Ces entrevues ne sont pas toujours souhaitées par l'adolescent qui trouve là une forme de complot, très nocive pour la confiance déjà si difficile à mettre en place.

En étudiant l’entourage affectif de l'adolescent en rupture sociale, on peut facilement repérer des dysfonctionnements : les problèmes relationnels avec le père et avec la mère. Il n'y a pas que le divorce qui  perturbe le système familial. La relation d’un couple toxique crée un empoisonnement psychique non seulement pour chacun des partenaires du couple mais pour les enfants qui vivent autour. Ils baignent dans un climat qui retire le goût de vivre et le sens de leur vie. C'est bien là qu'il rencontre la première fois le mépris de l’autre, la possibilité de faire souffrir l’autre, l’indifférence et l’angoisse. Les enfants ne savent pas encore parler qu’ils ressentent profondément la souffrance exprimée tant dans le paroles que dans les actes, les signes, les gestes. Ils sont programmés à subir ce qui est négatif et reproduiront ainsi inconsciemment ce qu’ils  connaissent depuis toujours C’est  ainsi qu’un parent dépressif qui enfante sans désir, sans amour,  ne donne pas envie d’aimer la vie).

Dans les séances de thérapie, la philosophie de la vie est discutée à partir d’exemples concrets que le jeune apporte dans l’entretien. C’est ainsi que l’on fait  surgir un chemin de vie, des objectifs, des intérêts, des désirs, une envie et peut-être une passion, au moins une orientation, un vecteur d’efforts pour atteindre le plaisir de vivre et de d’agir.
Le jeune est avide de comprendre et d’être compris. Et quand il a été déçu, il lui est difficile de pardonner. On le voit clairement dans les jugements portés sur les parents et sur les professeurs qui servent de repères pour le jeune en quête d’identifications. Les professeurs surchargés et stressés qui dans leur classe font des erreurs de communication  ne sont pas pardonnés par leurs élèves. Le jeune qui a quitté le monde de la scolarité évoque  le rejet non pas des études mais de l’enseignant. « Pourquoi ton niveau est faible  en philo ? » « Parce que je n’aime pas mon professeur ». L’exemple des adultes est formateur pour l’enfant qui a toujours  besoin d’admirer autant que d’aimer. La modernité n’y fera rien.

Et puis il y a des petits miracles, quand brusquement la prise de conscience se fait. Les ressources personnelles de l’individu ont été réveillées, on ne sait par quoi,  par quel mot, quelle image, quelle métaphore.  On ne sait quelle  évocation a pu faire jaillir la source  où l’ado  va pouvoir étancher sa soif.
C'est cela le miracle de la rencontre du consultant et du thérapeute. Et quels que soient nos méthodes, nos outils, il y a dans une thérapie une part d’indicible, d’irrationnel, d’intransmissible qui opère le changement.

Oui, on peut détourner l'obstacle. Oui, on a des ressources personnelles, insoupçonnées qui se réveillent. Oui, on a de l'énergie vitale, créatrice pour contourner les obstacles  et pour construire un pont. Oui, la foi transporte les montagnes. La flamme que l’on avait crue étouffée retrouve force et vigueur et s’alimente du goût intraduisible de la vie. L'enthousiasme renaît, on redevient le créateur de sa propre vie. Tous les efforts concourent  à ouvrir une brèche dans ce qui était un mur, à créer l’envie, l’envie de vivre, de déguster la jouissance légitime de sa vie.