Le baobab et le cagou - Interview de Alain Giraud Sophrologue

Voir l'interview parue dans Santé Intégrative

 « Quels que soient nos méthodes, nos outils, il y a dans une thérapie une part d'indicible, d'irrationnel, d'intransmissible qui opère le changement. Mais ce que je retiens, c'est cette flamme que l'on avait crue étouffée quiretrouve force et vigueur ets'alimente du goûtintraduisible de la vie. L'enthousiasme renaît, et le patient redevient le créateur de sa propre vie. Tous les efforts concourent à ouvrir une brèche dans ce qui était un mur, à créer l'envie, l'envie de vivre, de déguster la jouissance légitime de sa vie ».

Alain Giraud : Parlez-nous d'un cas clinique d'un adolescent qui vous a marqué et pour lequel vous avez eu certains résultats qui vous ont encouragé dans l'exercice de votre pratique.

Ghylaine Manet : J'ai reçu dans mon cabinet Jack, un jeune homme qui avaitraté son bac. Il vivait dans un milieu aisé. Brusquement, il s'est mis à pleurer non pas à cause de son échec mais parce qu'il venait de recevoir 200 € pourle consoler. Il s'est senti très dévalorisé : «Même si j'échoue on me récompense.On me traite comme un gosse. Peu importe pour eux si je réussis ou si j'échoue. Ils n'en ont rien à faire. Ils veulent juste que je me taise, que je ne pleure pas. Il ne m'écoute pas. Il ne faut pas que je dérange. Je suis un minable. Mon père d'ailleurs me le dit toujours.

C'est vrai que je dénote dans la famille. Ils ont tous des super métiers. Ils ont fait des études. Ils sont assez riches pour me payer jusqu'à la fin de ma vie uns tudio et ma nourriture. Je ne vaux rien, ce n'est pasleur problème. »

Comment s'est déroulée la thérapie de ce jeune homme ?

Dans un premier temps, sa maigreur et son teint pâle, ses propos, ses larmes, tout exprimait un état dépressif. Je l'ai dirigé vers son médecin traitant pour pouvoir accompagner la thérapie en toute sécurité. Ce qu'il a fait. Le médecin lui a donné un traitement homéopathique. La première séance, qu'on appelle séance d'anamnèse fait le tour de l'environnement socio culturel, des symptômes, des habitudes du sujet, de son hygiène de vie. L'entretien doit éclairer la demande. Pourquoi Jack a-t-il accepté de venir ? Qui l'a amené à cette décision ? Quels ont été les éléments déclencheurs de cette démarche ? Les séances suivantes ont été dans les 30 premières minutes des précisions sur l'environnement familial, les degrés et la qualité de la communication,ses copains,ses passions, la motivation pour les études, ses ressources personnelles. Il était découragé des études, il s'ennuyait en classe, avait des difficultés de communication avec ses camarades et finalement il ne voulait plus retourner au lycée. En complément de cet échange qui tisse la relation thérapeutique nécessaire à tout traitement, il accepta de travailler des exercices de sophrologie. Il apprit à se détendre avec le premier exercice : la sophronisation de base, enregistrée avec la tâche d'écouter le CD, 2 fois par jour. Dans la deuxième partie des séances, nous pratiquons des  exercices variés comme la SAP, ou sophro-acceptation progressive qui permettent d'anticiper une action concrète comme réussir un entretien avec un employeur ou faire des  démarches avec un organisme pourtrouver une solution à l'interruption des études, exemples qui intéressent au plus haut point desjeunes comme Jack. Ces exercices individualisés que je donne sont enregistrés sur un CD que le sujet va écouter une  à deux fois par jour, le conditionnant positivement à engager des démarches, à envisagerson avenir.

La sophrologie est-elle pour vous un conditionnement, un  lavage de cerveau, une espèce de méthode Coué ?

Il y a de ça, la sophrologie est faite de suggestions plus ou moins fortes, plus ou moins directes, la suggestion est naturelle. On ne peut pas ne pas suggérer comme on ne peut pas  ne pas communiquer. Lorsque vous dites machinalement à quelqu'un, dans une librairie : j'ai bien aimé ce livre, il est fort à parier que la personne qui vous entend brusquement a envie de lire ce livre etl'achète.Noussommes plus ou moinsimpressionnables,sensibles aux suggestions de ceux qui nous entourent. Nous sommes toujours en relation plus ou moins forte et la personnalité de chacun joue pour beaucoup. D'autre part, nous nous laissons trop souvent conditionnés négativement par nos pensées répétitives, par nos habitudes néfastes, par un environnement de personnes négatives, par les médias qui suintent toujours des peurs qui alimentent le mal-être des gens. Le sophrologue est là pour dédramatiser, déconditionner et reprogrammer positivement. La sophrologie est une thérapie comportementale. Bien sûr, s'il ne croit pas à ce qu'il fait, s'il n'est pas conscient de sa propre influence, à son insu, s'il ne se connaît pas,s'il est aveugle, je ne peux pas croire qu'il puisse aider quelqu'un à sortir du tunnel.

Pour sortir du tunnel, il lui faut aussi de l'énergie et pas seulement quelqu'un qui l'accompagne.

C'est en effet indispensable. Et les relaxations dynamiques, directement issues des ashrams hindous, rapportées par Alphonso Caycedo, sont remarquables. On les utilise en groupe et en thérapie individuelle. Elles permettent de bien se centrer sur son corps, de se sentir comme un arbre enraciné dans le sol et montant verticalement vers le ciel. Plus un arbre est enraciné, plus son feuillage sera haut et épais. Cette sensation d'enracinement et de verticalité développe une énergie vitale. Lorsque vous associez cette sensation à une respiration abdominale profonde et consciente, vous vivez le moment présent, vous vivez vos sensations. Et c'est alors que vous êtes en mesure de vous comprendre et d'accepter de prendre votre place aujourd'hui au milieu de vos semblables : « Je me sens plein d'énergie, j'ai le droit d'êtreheureux, j'ai le droit àma place, j'ai des capacités et des compétences, je développe l'envie dem'épanouir pleinement dans ma vie professionnelle et privée.Je me respecte et je respecte les autres.Je suis en paix avec moi-même ».

En effet, le manque de confiance et la peur c'est ce que l'on retrouve fréquemment dans les cabinets de sophrologie.

C'est le pain quotidien de tout psychothérapeute et il faut se préparer à ce constat dans les formations. Nous-mêmes, sophrologues, grâce à un entretien personnel, nous travaillons notre énergie vitale, notre confiance en nous-mêmes. Nous cherchons toujours à évoluer grâce à tous nos patients, à nos lectures et à nos superviseurs. Notre déontologie et notre éthique demandent de notre part d'être en supervision tout au long de notre exercice pour le traitement des phobies, des angoisses, des états dépressifs. Nos patients nous apportentleurssouffrances, leurs questions et on se doit de les aider avec ce credo : « tout le monde peut évoluer, chacun a des capacités pour le faire, et nous sommes là pour les soutenir dans leurs efforts, leur redonner confiance afin qu'ils ouvrent leur prison et croient dansleur avenir ».

Où en est aujourd'hui votre patient Jack ?

Sa thérapie a duré un an, une fois par semaine les deux premiers mois puis une foistousles 15 jours. Il a réussi une capacité en droit pour se donner une équivalence au bac qu'il n'a pas voulu repasser. Il communique avec plus d'aisance. Il a pris confiance en lui. Il a trouvé maintenant un emploi et il aime son travail. Il a une liaison durable avec une jeune femme qui travaille avec lui, ce qui l'a beaucoup sécurisé. Pour préserver lesjeunes d'une dérive marginale et libertaire, les parents les couvent et leur fixent des règles rigides. Et l'oiseau ne peut plus voler. Jack n'avait pas le contact avec son corps, avec son désir. Il n'avait pasle contact avec lui-même. Et bien sûr, ilse mettait en rupture sociale. La vraie rupture, c'est la rupture d'avec soi-même.

Comment sortir de l'impasse que crée la rupture des liens sociaux ? Quel est le rôle de l'entourage pour un jeune qui veut se sortir de l'impasse ?

Déjà, il faut trouver le point névralgique de la cuirasse, le talon d'Achille. Car l'ado en rupture sociale s'estréellement cuirassé. Il est souvent rigide dansson corps et dans sa manière de s'exprimer. Il utilise les mêmes arguments qu'il se repasse dansles soirées festives. Les mêmes phrases reviendront dans les entretiens. Établir une relation de confiance estsouvent une gageure. Elle est pourtant essentielle cette étape. Sans elle, aucune technique n'est possible.

Le rôle de l'entourage est très ambivalent. C'est le père ou la mère qui pousse l'adolescent à venir dans le cabinet de sophrologie. Mais souvent, ils ne font aucun lien entre le travail thérapeutique avec leur enfant et l'impact qu'ils ont sur leur enfant dans le milieu familial et sur la thérapie même. Ils sont capables de régler la séance mais ne changeront pas leurs comportements vis-à-vis de leur progéniture : « Il est en thérapie. C'est un soulagement. Et ça ne change rien pour nous. » Le jeune qui suit une thérapie ne comprend pas bien pourquoi rien n'a changé à la maison. Il parle de l'incompréhension qu'il ressent de la part de son entourage. Il relève les emplois d'expression qu'il ressent comme violents à son égard : « tu dois, il faut, tu es nul, regarde ton frère ! » Ce n'est pas l'exemple d'un frère ou d'une sœur plus adaptée à la vie quotidienne qui l'aidera à sortir de son marasme. S'il est possible de rencontrer la famille, le père, la mère, les deux ensemble ou séparément, nous pouvons nous en réjouir. Pas trop vite, car cela peut être aussi une source de complications. Ces entrevues ne sont pas toujours souhaitées par l'adolescent qui trouve là une forme de complot, très nocive pour la confiance déjà si difficile à mettre en place.

Voir l'interview parue dans Santé Intégrative