Qu'est-ce que l'âme pour un thérapeute?
Le thérapeute a dans sa vie expérimenté la totalité de cette triade : corps-esprit-âme. Le travail dans la séance est la conséquence de son travail personnel, de son expérience dans sa faculté de se mettre dans l'instant même dans un état modifié.
Écrit par Ghylaine Manet le 23 Mai 2024
Nul ne peut montrer le chemin s'il ne l'a pas déjà emprunté.
Ces éléments constitutifs que je viens de nommer, ce sont, à mon point de vue, ceux qui font pressentir ce qu'est l'âme.
Hors du corps et de l'esprit, c'est l'âme qui donne le mouvement à la triade, sa force, et à l'être humain sa luminosité, sa particularité, son éclat, son charisme pour toucher la profondeur de l'intime de l'autre et susciter les ressources insoupçonnées dans la relation du patient et de l'opérateur.
En chine, l'âme c'est le Qi, (prononciation le Tchi), l'énergie vitale, le Souffle qui relie chaque être, et toute forme au Souffle primordial qui est le Principe de Vie même » nous rappelle François Cheng 1.
La thérapie devient une relation d'âme à âme.
C'est dans le travail du deuil que nous sommes confrontés à cette vérité de l'être humain. Est-ce qu'il y a une âme qui survit au corps ? Est-ce que quelque chose survit après la mort ?
Pour moi, l'âme caractérise le dépassement du corps et de l'esprit. Elle est l'expression de la beauté, du désir de l'éternité, de l'Amour. Je n'y mets aucun dogme, aucune religion, juste l'envol vers quelque chose que nous ne connaissons pas, qui est impalpable, qui donne le mouvement, la force de vivre, le sens de la vie, le sens de l'être, que l'on peut nommer AMOUR.
L'âme est difficile à cerner puisqu'elle est invisible, elle est l'intime de la personne et c'est ce qui distingue une personne d'une autre personne, mais elle est la force du cœur et bien plus, selon de nombreux philosophes, elle exprime une nature divine, elle transcende les deux autres éléments de la personne, elle est selon certains le pouvoir d'immortalité, alors que nous avons l'expérience de la vieillesse du corps, de sa mort, de la dégénérescence du cerveau. Elle est perceptible chez une personne dans la lumière de son regard, dans l'éclat et la modulation de sa voix et la fulgurance de son sourire, dans ce qui reste au fil des années lorsqu'on regarde l'album de la vie. Dans l'adulte, on peut retrouver l'éclat du regard de l'enfant.
L'âme est ce qui ne meurt pas. Elle rend la personne indivisible, unique, irremplaçable.
Elle survit dans le souvenir, dans l'exaltation des œuvres qu'elle crée. La musique, la peinture, la poésie en sont les manifestations palpables privilégiées venues on ne sait d'où. On l'appelle l'inspiration, la présence inexplicable d'un don, d'une force extérieure à tout ce que nous connaissons et que nous sommes incapables de créer, même avec la robotique, avec l'AI, l'intelligence artificielle. Prenons l'exemple de la Diva Marias Callas, la soprano éternelle chantant la NORMA (de Bellini2 acte 1). Des millions de personnes peuvent vibrer en écoutant ce chef d'œuvre incontestable.
1. François Cheng, académicien, né en 1929, L’âme, 3-ème lettre, Albin Michel, 2016
Quand nous inventons les métaphores, les symboles, les contes à notre insu pendant une séance d'hypnose, nous participons à une création de notre partie intime « : l'âme, initiale et ultime » (François Cheng)
Mon intime conviction est que cette partie intime de nous-mêmes guérit notre mal -être, nos souffrances, nos douleurs et remplit le vide de notre existence, lui redonne un sens.
C'est bien de l'amour qui s'exhale lorsqu'on évoque l'âme. L'expérience de la mort évoque aussitôt l'absence de l'être aimé, de son âme, et nous renvoie à la nôtre, au désir de l'éternité, au prix inestimable de la vie qui vient d'ailleurs. La mort nous donne l'amour de la vie. C'est l'âme qui anime la personne, c'est ce qui la rend irremplaçable, cette force en nous que les êtres déprimés ont perdue et que nous thérapeutes nous les aidons à retrouver.
L'âme, c'est aussi cette partie de notre être qui est en contact avec le monde, la nature si vivifiante, généreuse, étonnante.
L'hypnose nous met dans un état modifié hors du temps et de l'espace avec des perceptions différentes selon le sujet. Le conte thérapeutique « la charrette » que j'ai écrit pour apaiser un deuil a des réminiscences du texte célèbre « l'attelage ailé de Platon, développé dans le dialogue PHEDRE , allégorie qui peut toucher l'âme de chacun différemment.
L'allégorie de Platon : l'attelage ailé. L'âme
Et il est temps d'évoquer l'allégorie de Platon. Magistralement commentée par Jacqueline de Romilly. L'expression de l'âme chez Platon est d'une grande précision et d'un réalisme particulier. Platon ouvre la voie à la psychologie moderne, supprimant l'idée que ce sont les dieux avec leurs passions qui animent l'âme humaine.
Platon décrit un cocher aux prises avec un attelage ailé de deux chevaux. L'un d'eux, un cheval noir représente les désirs mauvais, les émotions violentes, l'amour physique destructeur, fougueux, incapable d'accepter d'être dirigé , et perturbant l'équilibre de l'attelage.
Le cocher représente la raison de l'homme, le discernement, l'intellect.
C'est lui qui doit mener l'attelage ailé et le conduire vers la voûte céleste où règne l'amour des Idées éternelles, transcendantales de la Réalité absolue : le Beau, le Vrai, le Bien.
Le deuxième cheval, blanc, calme, soumis, obéit aux ordres du cocher. Il est animé de bons sentiments et de belles aspirations vers les vérités éternelles.
Il y a dans cette allégorie une grande force d'expression du conflit des passions opposées.
L'attelage entier représente l'homme dans la triade corps-esprit-âme dont les éléments sont indissociables. Cet attelage est ailé. Il n'y a pas la description des ailes mais bien la métaphore de l 'élévation de l'âme vers le ciel des Idées : le Beau, le Vrai, le Bien. Pour quitter la terre ferme, la vie terrestre, la matérialité, le cocher qui représente l'intelligence a le désir et la force morale de monter vers les cieux et d'accéder à l'éternité. C'est la voie royale pour éviter la réincarnation après la mort, selon Platon. On ressent une origine indienne où l'on retrouve les images de chevaux ailés et la croyance à la réincarnation des âmes selon leur parcours terrestre. (Dans les Upanishad entre 200 av JC et 200 AP. JC)
Citons la prière finale de Socrate qui termine le dialogue Phèdre « O^ cher Pan, et vous, divinités de ces lieux, donnez-moi la beauté´ intérieure, et faites que tout ce que j'ai d'extérieur soit en accord avec ce qui m'est intérieur. L'âme peut être assimilée à la beauté intérieure, au cœur, à l'amour.
On sait bien d'où vient la souffrance de l'être humain : son ego orgueilleux, accroché aux biens matériels, ignorant de la Beauté et du Bien, attaché aux passions destructrices comme la colère, la jalousie, l'avidité, la haine, les pulsions déchainées. C'est la partie de notre monde intérieur qu'il nous faut domestiquer si l'on veut avancer vers la Connaissance, et vivre dans la quête des Valeurs universelles.
C'est une aventure intérieure, celle de l'ombre vers la Lumière. C'est la lutte intérieure de l'âme symbolisée par ces deux chevaux que le Cocher doit dompter s'il veut conduire son char, gagner la voûte céleste et l'immortalité.
C'est rarement une seule séance qui donnera au consultant le plein pouvoir sur ses désirs mais le chemin commence et se poursuit par étapes successives, avec des défaites, et des victoires, avec le doute et l'espérance de quitter l'ombre pour la Lumière.
L'homme épanoui se construit sur trois plans : le corps, l'intelligence- ou conscience et la reconnaissance de l'âme, c'est-à-dire d'une transcendance, d'un dépassement de l'individualité et de la matérialité. C'est l'avènement de la spiritualité qui défie les machines, les super-robots, les humanoïdes, incapables d'âme.
Henri Bergson demandait pour notre civilisation « un supplément d'âme ». C'est ce que les thérapeutes peuvent apporter à notre société désorientée et violente, attirée par les écrans et les robots toujours aux formes de plus en plus humanoïdes.